Pour relancer le sujet, j’ai retrouvé un article du GMI M.Ashley de 2003 sur le sujet. J’ai pas le lien, mais la traduction .. bonne lecture 😄
Texte et proposition du GMI Maurice Ashley paru sur TWIC.
Aimablement traduit par Serge Gautier.
En finir avec la proposition de nulle ?
A tous les passionnés d’échecs :
Récemment, j’ai été amené à réfléchir au sujet d’une pratique qui me semble devoir être discutée par tous ceux qui aiment vraiment ce jeu, à savoir : la proposition de nulle. Ce sujet a vraiment commencé à me préoccuper depuis deux événements : le Championnat des Etats-Unis de 2003 et le match Kasparov-Deep Junior, dont j’étais un commentateur. Pour le premier, avec 8 joueurs ex-æquo en tête à une ronde de la fin et 25000 dollars de prix pour la première place, la nulle a été proposée et rapidement acceptée sur trois des quatre premiers échiquiers.
Pour le second, après avoir captivé l’imagination de millions de passionnés d’échecs et du grand public, les protagonistes ont stupéfié tout le monde en s’accordant la nulle dans une position où la tension atteignait son point culminant.
Je crois que je n’aurais pas accordé beaucoup d’attention à ce sujet sans la réaction d’amertume qui s’est dégagée dans les deux cas. Au championnat des Etats-Unis de Seattle, le responsable de l’organisation, Erik Anderson, a été choqué, furieux et profondément déçu. Il considérait qu’avec tous les fonds collectés auprès des sponsors, c’était terriblement insultant pour les donateurs et les passionnés que les leaders (à l’exception notable de Shabalov et d’Akobian) aient volatilisé en grande part l’intérêt dramatique de cet événement.
Dans le cas du match Homme-Machine, la réaction a été encore pire. Ce match a suscité un intérêt phénoménal et on peut estimer, à notre âge de l’Internet, que ce fut l’événement échiquéen le plus couvert de tous les temps avec plus de 45000 articles pour la seule première partie. Encore plus ahurissant, la grande chaîne TV des sports ESPN2 a envoyé une équipe pour retransmettre l’événement en direct aux Etats-Unis. Ce fut un moment fantastique pour les Echecs quand approximativement 400000 foyers suivaient la retransmission. Il va sans dire que la fin fut décevante. Les gens chez eux manifestèrent bruyamment leur désapprobation quand mon partenaire du commentaire télévisé Yasser Seirawan - habituellement loquace - et moi-même firent de notre mieux pour expliquer la situation aux téléspectateurs. Même ma belle-mère et sa soeur, qui n’ont jamais touché un pion de leur vie mais qui ont suivi les trois heures de retransmission (pouvez-vous imaginer ça ?), ont émis l’opinion qu’il y avait dû y avoir un arrangement entre les deux compétiteurs. Tout en leur faisant très rapidement savoir qu’aucun des deux camps ne se prêterait à une pareille absurdité, je ne pus m’empêcher de me demander combien d’autres téléspectateurs en Amérique étaient en train de penser la même chose.
En tant que personne ayant consacré sa vie non seulement à jouer aux échecs, mais aussi à les populariser, je suis peiné d’entendre parler de ce jeu de manière si négative. Kasparov expliqua plus tard avec une franchise déconcertante qu’il « ne voulait pas perdre ». Après avoir complètement dominé Deep Junior dans quasiment chaque partie et l’ayant vu tenir le score égal à force de sorcelleries tactiques, il craignait que sa propre prouesse puisse lui faire défaut dans la dernière partie. Ceux d’entre nous qui ont perdu des parties importantes connaissent bien ce sentiment. Néanmoins, si les échecs veulent prétendre au niveau de popularité dont Kasparov s’est assigné l’admirable mission depuis le début de sa carrière, je pense que le problème des propositions de nulle doit être traité.
Lorsque j’ai passé un coup de fil à Tom Brownscombe de la Fédération US des Echecs (USCF), il m’a lu la règle 14.b.6 du règlement de l’USCF qui dit : « Il est contraire à l’éthique et à l’esprit sportif de s’accorder sur la nulle avant qu’un combat sérieux n’ait commencé ». Franchement, je ne connaissais pas l’existence de cette règle, mais la façon dont elle est rédigée lui enlève tout mordant. De plus, elle ne dit rien sur une question encore plus fondamentale : pourquoi est-il permis de proposer nulle aux échecs ? A quel moment cela a-t-il été permis ? Tom ne connaissait pas la réponse à cette question, mais il me renvoya à John Mac Crary, Président de l’USCF et historien des échecs. Quand je lui posai la question, il put instantanément me donner l’origine de la règle des cinquante coups et de la nulle par triple répétition, mais ne sut que me dire sur l’origine de la proposition de nulle. Il promit d’y regarder, et peu après je reçus cet e-mail :
« Maurice, votre question s’est transformée en vrai sujet de recherche ! Je n’ai rien pu trouver dans mes sources standard, et j’ai donc fait une rapide recherche originale dans mes vieux ouvrages, pour trouver ceci : Dans les échecs médiévaux (Shatranj) la nulle était reconnue, mais apparemment seulement dans les finales très simples où il était clairement impossible pour chaque camp de forcer un gain. Il n’y a aps de référence apparente aux nulles avant la toute fin de la finale dans la littérature Shatranj. Même jusqu’au dix-huitième siècle, il semble n’y avoir eu aucune nulle par agrément mutuel hors les finales très simplifiées. Dans l’Encyclopédie Oxford des Parties d’Echecs, la nulle la plus ancienne pour quelque motif que ce soit était un échec perpétuel en 1750, bien que ce livre ait enregistré des parties remontant aux années 1400. Le Manuel de Staunton (184B-) parle de nulle par agrément seulement si le matériel est très réduit, par exemple R+D contre R+D. La référence la plus ancienne aux nulles par agrément que j’aie pu trouver était dans le Code Américain des Echecs de 1897, qui permet la nulle par agrément à n’importe quel moment. »
Certainement, la nulle peut être le résultat naturel d’une partie bien jouée. Personne n’oblige deux joueurs à se rentrer dedans en oubliant toute prudence pour tirer des feux d’artifice d’une position sans vie (voir Tate-Ashley, New York 1993 pour un cas extrême). Mais la proposition de nulle, spécialement celle qui vient après les dix ou douze coups de rigueur, semble quand même bizarre. Imaginez un match de basket commencé depuis quelques minutes avant que les deux camps ne décident de s’arrêter sur un score de parité. « Vous savez, on a fait un long trajet d’avion, on a joué hier soir et les gars sont un peu fatigués. Ça vous dirait de faire nulle et d’aller boire une bière avec nous ? » Outre que ça paraît complètement ridicule, en certains endroits les supporters pourraient déclencher une émeute ! Même dans les sports où les matchs nuls sont permis (football, hockey, et étonnamment, football américain) des efforts sont faits pour éviter ce résultat pas totalement satisfaisant. La plupart des autres sports résolvent le problème de manière claire : jusqu’à trois ou quatre prolongations au basket, des entrée supplémentaires au baseball, le tie-break au tennis, et les playoff au golf. Bien sûr, les échecs sont différents puisqu’un résultat nul est parfois inévitable. S’il ne reste que les deux rois sur l’échiquier, ajouter quelques minutes de temps supplémentaire ne changera rien. Il n’y a aucune raison de jouer jusqu’au bout beaucoup de finales de tours ou de fous de couleurs opposées. Les nulles font naturellement partie de notre jeu, et il est stupide voire suicidaire de jouer pour le gain dans de nombreuses positions. Toutefois, la proposition de nulle dans une position pleine de vie où tout reste à découvrir semble être, de toutes les règles des échecs, la plus dévoyée. Je ne suis même pas sûr qu’on puisse appeler ça une règle : c’est plutôt une pratique qui a été réglementée, où, dans ce cas, pas assez réglementée.
Ne vous méprenez pas sur mon compte : bien que détestant les nulles, je me suis également rendu coupable de ces pratiques abusives. Mes deux places de premier ex-æquo à Foxwoods étaient dues à des nulles de salon à la dernière ronde (une fois sur proposition de mon adversaire, l’autre fois de mon propre fait). Ma place de premier ex-æquo à l’Open des Bermudes était due à une proposition de nulle rapide que j’ai faite. Dans les trois cas, contre de très forts Grand Maîtres, je suis arrivé à la dernière ronde sans savoir si mes adversaires étaient aussi inquiets que moi de rater un prix conséquent. Toutefois, à King’s Island en 2002 où j’étais seul en tête avec un demi-point d’avance avant la dernière ronde, je m’attendais et je m’étais préparé à une lutte sans merci. Imaginez ma surprise quand mon adversaire, un Grand Maître connu pour son esprit combatif, me proposa rapidement nulle alors qu’il avait les Blancs ! Il dit qu’il était sorti la veille et qu’il était trop fatigué pour jouer. Cela devint encore plus curieux lorsque les échiquiers deux et trois, avec certains des plus forts joueurs américains désormais susceptibles de me rejoindre en tête, virent des nulles rapides, l’une pour raison de « fatigue » et l’autre d’amitié. Je connais cette excuse de « l’amitié » parce que mon grand copain Josh Waitzkin et moi faisions toujours nulle entre nous avant que son père ne suggère que les organisateurs arrêtent de nous inviter aux mêmes tournois. Nous en avons parlé et décidé que, même si c’était douloureux, notre amitié pouvait survivre à la compétition. Curieusement, sur nos six ou sept parties, je crois que deux seulement furent décisives.
Si je dis tout cela, c’est parce qu’il m’a fallu plus de vingt ans pour réaliser à quel point nous sommes tous victimes de cette calamité. Je ne me souviens pas quand j’ai d’abord appris qu’on pouvait proposer nulle à tout moment, et je suis sûr de n’avoir jamais douté de cette règle. « Les fous jouent en diagonale, le but du jeu est de mater le roi, et on peut proposer nulle à tout moment. » Dans les plus faibles sections de beaucoup de championnats de jeunes, il y a toujours un gosse qui vient d’apprendre la règle et qui s’en sert pour virtuellement harceler son adversaire avec des propositions de nulle presque à chaque coup !
Malheureusement, la proposition de nulle a été utilisée de manière plus dévoyée. Récemment, il est apparu que Bobby Fischer avait raison depuis le début lorsqu’il disait que les Russes s’étaient ligués contre lui à Curaçao en se mettant d’accord à l’avance pour faire nulle entre eux (Korchnoi a ajouté que lui aussi en fut victime lors du même tournoi). Les noms des conspirateurs sont parmi ceux des plus grands à avoir jamais touché une pièce d’échecs. Certains pourraient n’y voir qu’une bonne stratégie de tournoi. S’ils avaient réellement essayé de se battre entre eux, le résultat final aurait pu être le même. Pourquoi ne pas garder de l’énergie pour plus tard, et l’utiliser contre des joueurs peut-être plus fatigués d’avoir eu à jouer de longues parties ? En mettant de côté ces justifications, nous savons tous que cet argument spécieux se heurte à tout ce qui fait la grandeur du sport. Et bien que de nos jours les professionnels n’aient pas vocation à arranger les parties, on voit toujours fleurir les nulles de salon même aux plus haut niveaux.
Imaginez un instant que c’est la dernière ronde d’un grand tournoi et que le joueur X est en tête d’un demi-point. Son adversaire, le joueur Y, a fait un très mauvais tournoi et n’a vraiment pas envie de jouer. Ils s’assoient à la table, lancent les pendules, jouent quelques coups et soudain le joueur Y abandonne ! Bien sûr, il y aurait de telles protestations que ce joueur serait probablement exclu des tournois futurs. Maintenant changeons le scénario et supposons que les joueurs conviennent de la nulle. Cela ne susciterait probablement que quelques murmures, même si le joueur X n’a rien eu à faire pour se retrouver au moins premier ex-æquo. Certes, le joueur X s’est retrouvé dans cette situation en jouant bien dans les rondes précédentes, mais ça ne change rien. Des équipes jouent toujours très bien pour se retrouver en finale de grandes compétitions sans qu’on leur serve le titre sur un plateau d’argent une fois arrivées en finale. Aux échecs, l’attitude est : « puisque c’est permis, pourquoi pas ? »
Si nous sommes d’accord pour considérer que c’est un problème sérieux qui doit être traité, la prochaine question doit être « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » Quand j’ai abordé ce sujet avec l’ex-Championne du Monde Susan Polgar, elle m’a dit se souvenir que dans les tournois de l’époque en Hongrie et en Russie, les joueurs n’étaient pas autorisés à proposer nulle avant le trentième coup. Elle m’a aussi rappelé que Rentero, l’organisateur de Linarès, faisait porter sur les contrats des joueurs qu’ils n’étaient pas autorisés à proposer nulle avant le premier contrôle de temps. Je conviens que c’est un bon début, mais pourquoi pas après cinquante coups ? Nous avons déjà une règle des cinquante coups, avec laquelle nous serions en phase. La raison pour laquelle je ne tiens pas à supprimer complètement la proposition de nulle est qu’il faut tenir compte de la réalité de ces situations en finale où il n’y a vraiment plus rien à faire.
Paul Truong, qui participait à cette discussion avec Susan Polgar et moi, suggéra que si des joueurs veulent faire nulle, il est impossible de les en empêcher. Ils peuvent toujours monter une partie qui finit par échec perpétuel ou par une répétition. C’est vrai, mais je pense que la vaste majorité des joueurs ont plus d’honneur que ça. Presque toutes les nulles de salon ne doivent rien à un arrangement préalable, mais plutôt à la commodité ou à la peur de perdre. Si les joueurs n’étaient pas autorisés à proposer nulle rapidement, ils effaceraient simplement cette option de leur esprit et joueraient simplement aux échecs. Naturellement, plus on en vieux plus il est difficile de s’adapter à un changement de règle. Les gamins de dix ans qui seront nos stars de la prochaine décennie n’auront pas de problème, parce qu’ils n’auront pas connus d’autre situation. Prenez les ajournements : aujourd’hui personne ne se soucie de ne plus pouvoir ajourner ses parties après le premier contrôle de temps (même si Kramnik a réussi à ressusciter cette pratique désuète dans son match contre Deep Fritz). Aujourd’hui les ados vous prendraient pour un fou si vous leur disiez que Botvinnik était capable d’arrêter une partie en cours, de laisser ses assistants analyser la position pendant plusieurs heures, et de revenir avec des analyses façonnées et fignolées pour lui. Bien sûr, les ordinateurs ont réellement précipité la fin de cet exercice ridicule, mais elle ne semblait pas si ridicule à l’époque. Elle était acceptée parce que c’était comme ça.
Même pour des joueurs qui seraient moins honorables, il est possible pour les organisateurs de faire passer le message. Si une partie finit par un échec perpétuel rapide entre deux joueurs connus pour être amis, un certain nombre de mesures peuvent être prises, du simple avertissement à la mise à l’amende. Il est très improbable qu’une partie finisse par un échec perpétuel rapide, et si le fait se reproduit, alors la collusion est claire. Je pensent que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des joueurs sont honorables et n’imagineraient même pas recourir à ces sortes d’artifices, mais des mesures efficaces peuvent néanmoins être prises par la FIDE et les fédérations nationales.
Je ne prétends pas détenir la solution exacte à ce problème, car je n’ai pas examiné toutes les situations possibles. J’espère que la FIDE traitera sérieusement ce problème dans une de ses prochaines réunions. Je sais que M. Ilyumzhinov a essayé différentes méthodes pour rendre ce jeu plus accessible à un plus grand public, dont certaines n’ont eu qu’un succès limité. Il est possible que l’idée de réglementer les propositions de nulle soit un des changements les plus simples à décréter. Sans aucun doute, les meilleurs joueurs du monde peuvent accélérer ce changement s’ils parviennent à une sorte d’accord. Pour le bien des échecs, nous ne pouvons qu’espérer qu’ils y parviennent.
Maurice Ashley firstblackgm chez aol.com
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